L’affaire d’Aigues-Mortes
Patrick Sandevoir
14 décembre 2021
C’est le dernier pogrom français, et il se déroule en 1893
Pour comprendre l’événement il faut le situer dans le contexte géographique, social et politique où il se situe
Un peu d’histoire ….
La ville a connu des revers. Isolée par les marécages, elle est restée longtemps un port important. Mais son activité économique baisse et se réduit à l’activité portuaire. Or, sous l’effet de la concurrence avec Marseille, elle végète. En 1840, de graves inondations, entraîne la construction de digues. Les propriétaires recrutent des journaliers, et nombre de travailleurs de toutes sortes. Ces journaliers sont occupés à la fois aux travaux des champs et dans l’industrie. Il faut que ces deux activités s’articulent bien.
La crise économique qui couve amène les propriétaires à baisser les salaires.
La construction de la ligne de chemin de fer commence. Elle nécessite beaucoup de travailleurs.
Survient la crise du phylloxera. Or on découvre que l’eau marine protège les vignes des parasites, et les plants installés dans les sables ont résisté au phylloxera. C’est la ruée sur les terres entourant Aigues-Mortes. Il faut alors des ouvriers agricoles. Or, les habitants de la ville refusent d’y travailler.
Les immigrants récents habitent près de la porte Saint-Antoine.
Aigues-Mortes comporte environ 4000 habitants. 150 familles y résident, cultivant l’héritage culturel, qu’ils défendent au niveau politique
L’exploitation du sel
En 1893 la Compagnie des Salins est obligée de recruter à l’extérieur. Ce recrutement se compose de plusieurs groupes :
Les « ardéchois » qui viennent des Cévennes. Ils se regroupent dans des « colles » qui peuvent aller jusqu’à 50 personnes.
Les piémontais qui réunissent des toscans, et des piémontais
Les « trimards », ouvriers au chômage, vagabonds. Les vagabonds sont poursuivis car le vagabondage est hors la loi.
En Août 1893, il faut 1200 saisonniers pour le ramassage du sel, ce qui représente plus du quart de la population de la ville. Ils sont logés à l’extérieur de la ville, dans de misérables cabanes. On leur apporte une nourriture sommaire et très réduite. Il n’y a aucun système d’adduction d’eau, ils ne peuvent ni se laver, ni laver leurs vêtements pleins de sel, dorment dans des cabanes, reçoivent. Ils vivent dans des conditions très difficiles. Rien n’est organisé pour les accueillir. Les saisonniers sont essentiellement des hommes, jeunes, parfois violents, dont certains ont déjà commis des exactions précédemment, laissant des souvenirs difficiles.
Le sel est transporté par brouettes de 100kg, poussées sur des pentes en bois, jusqu’aux « Camelles », où on l’entasse.
La Compagnie a décidé de payer au rendement. Les italiens travaillent mieux et plus vite. Ils reçoivent donc des salaires plus importants que les autres saisonniers français. Jusqu’au double de ce que touchent ces derniers.
L’affaire
Le 15 août 1893, il fait particulièrement chaud. Les ouvriers ont touché leur paye et posé leurs outils. Le août, les trimards, qui ne parviennent pas à suivre le rythme commencent à saboter le travail des italiens. La rixe s’envenime et un italien jette une vêtement plein de sel dans la réserve d’eau. Chassés de Fangouse, par les italiens, les trimards font courir le bruit que des habitants de la ville ont été agressés. Les italiens se réunissent devant la boulangerie pour toucher leurs salaires, et là, les saisonniers français armés de bâtons les attaquent. Le maire demande de l’aide au préfet. Quand la troupe arrive, elle essaie de protéger les italiens et de les conduire à la gare pour les faire partir vers Marseille. Les trimards attaquent les convois. A Fangouse, les deux bandes s’affrontent, les gendarmes essaient d’intervenir. Malgré l’action des gendarmes, la présence du maire, du préfet, du juge, l’émeute prend de plus en plus d’importance. Les italiens sont pourchassés dans la ville, les habitants d’Aigues-Mortes, armés, rejoignent les émeutiers, et participent à la « chasse à l’ours ». On comptera 7 morts, et un italien mourra des suites de ses blessures.
Les suites politiques
Les conséquences seront considérables. En France, trouve des explications, pour les conservateurs c’est la conséquence de l’immigration, pour les socialistes, c’est le fait de l’exploitation des ouvriers par la Compagnie des Salins, et de la rémunération au rendement. Très vite, l’affaire est connue en Italie où des émeutes se déclenchent dans toutes les villes. A Rome, le Palais Farnèse et assiégé et attaqué par les émeutiers. La tension monte entre les deux états. Le contentieux politique est attisé des deux côtés par les nationalistes. La France voit en l’Italie l’alliée de la triple alliance, l’Italie reproche à la France de la supplanter dans la domination de la Tunisie et de limiter ses ambitions africaines. A terme, le maire d’Aigues Mortes et le préfet de Rome seront contraints de démissionner, servant d’exutoires.
Un procès aura lieu. Malgré la présentation du ministère public et le point de vue des juges, le jury va acquitter les français au mépris de toute évidence, et condamner un italien. L’affaire a pesé lourd dans les consciences, et encore à l’heure actuelle, les habitants d’Aigues-Mortes, vivent assez mal ce passé.
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Quelle belle conférence ! Patrick Sandevoir a ravi le public par la richesse d’une information exposée avec la plus grande clarté. La relation des faits, s’est déroulée comme un roman, alors que tout était ancré dans une réalité historique, très précise nourrie de références, articles de presse, minutes du procès. Cette affaire terrible est révélatrice de tensions historiques importantes. Merci au conférencier de nous l’avoir relatée.